AMAZONE 1/8
Modèle Delphine
Prises de vues numériques
Placer le spectateur face à une anomalie anatomique, révéler un type de corps invisibilisé, concrétiser cette envie de montrer « çà » . Voilà ce qui motive Delphine L’hermite quand, il y a deux ans et demi, elle propose à Jean Luc Beaujault ce qui va de venir le projet Amazone 1/8* . C’est à dire une invitation à la photographier, plus précisément à saisir un corps bouleversé, un buste tronqué, une absence cicatrisée. A l’accompagner dans son acceptation et sa réflexion. A opérer, de concert, un geste artistique d’utilité publique. Un geste subrepticement politique.
A l’origine de cette demande, il y a sinon le désir de s’assumer, du moins l’envie de confronter le public à une réalité méconnue, occultée, indicible : comment vit on après l’ablation d’un ou deux sein(s) consécutive à un cancer ? A quoi ressemble un corps marqué par la maladie ?
Comment fait on ?
Au gré des séances photographiques, les questionnements affleurent, les sensations s’aiguisent, des gestuelles s’esquissent. Ce dont témoignent les photos exposées, réalisées en noir et blanc ou en couleur, certaines organisées en triptyques, quadriptyques ou quintypes.
Divers clichés documentent au plus près des actes du quotidien. D’autres s’attachent à révéler l’expressivité d’un corps perturbé, asymétrique, différent, l’ensemble nous obligeant à réévaluer nos représentations corporelles empreintes d’une hypernormativité.
Évidemment, l’attention s’attache à cette cicatrice qui serpente, cette poitrine fantôme, cette
trace mnésique inscrite dans la chair. « Les cicatrices ont l’étrange pouvoir de nous rappeler que
notre passé est réel. »* a écrit le romancier américain Cormac MacCarthy.
Lorsqu’un bras tendu s’élève et s’arque comme dans un mouvement de danse, une ligne se dessine,
subtilement, dans le prolongement de la marque blanche laissée par la morsure chirurgicale. De ce
minuscule territoire de peau accidenté émerge un paysage complexe, traversé de reliefs.
Et, il y a ce regard direct et calme qui nous fixe, nous interpelle presque, nous enjoint à
observer, à voir, à accepter. La démarche est décidée, la posture frondeuse. On songe alors à
certaine tirade du Tartuffe de Molière légèrement remaniée, le « Cachez ce sein… » devenant
« Cachez cette absence de seins que nous ne saurions voir. ».
Et, nous voici, justement, en train de regarder ce qui, habituellement, demeure dissimulé et proscrit
dans notre société, à nous familiariser avec un certain état du corps « d’après », à réviser certains
tabous toujours à l’oeuvre dans la représentation du corps féminin, d’autant plus lorsqu’ils
concernent des attributs corporels associés à la sexualité et la maternité.
* 1 femme sur 8 fait l’expérience d’un cancer du sein dans sa vie. Certaines d’entre elles
subissent l’ablation d’un ou deux sein(s).
*dans De si jolis chevaux (1992).
Isabelle CORBÉ
Placer le spectateur face à une anomalie anatomique, révéler un type de corps invisibilisé, concrétiser cette envie de montrer « çà » .
Voilà ce qui motive Delphine L’hermite quand, il y a deux ans et demi, elle propose à Jean Luc Beaujault ce qui va de venir le projet Amazone 1/8* .
C’est à dire une invitation à la photographier, plus précisément à saisir un corps bouleversé, un buste tronqué, une absence cicatrisée. A l’accompagner dans son acceptation et sa réflexion. A opérer, de concert, un geste artistique d’utilité publique. Un geste subrepticement politique.
A l’origine de cette demande, il y a sinon le désir de s’assumer, du moins l’envie de confronter le public à une réalité méconnue, occultée, indicible : comment vit on après l’ablation d’un ou deux sein(s) consécutive à un cancer ?
A quoi ressemble un corps marqué par la maladie ?
Comment fait on ?
Au gré des séances photographiques, les questionnements affleurent, les sensations s’aiguisent, des gestuelles s’esquissent. Ce dont témoignent les photos exposées, réalisées en noir et blanc ou en couleur, certaines organisées en triptyques, quadriptyques ou quintypes.
Divers clichés documentent au plus près des actes du quotidien. D’autres s’attachent à révéler l’expressivité d’un corps perturbé, asymétrique, différent, l’ensemble nous obligeant à réévaluer nos représentations corporelles empreintes d’une hypernormativité.
* 1 femme sur 8 fait l’expérience d’un cancer du sein dans sa vie. Certaines d’entre elles subissent l’ablation d’un ou deux sein(s).
Évidemment, l’attention s’attache à cette cicatrice qui serpente, cette poitrine fantôme, cette trace mnésique inscrite dans la chair.
« Les cicatrices ont l’étrange pouvoir de nous rappeler que notre passé est réel. »* a écrit le romancier américain Cormac MacCarthy.
Lorsqu’un bras tendu s’élève et s’arque comme dans un mouvement de danse, une ligne se dessine, subtilement, dans le prolongement de la marque blanche laissée par la morsure chirurgicale. De ce minuscule territoire de peau accidenté émerge un paysage complexe, traversé de reliefs.
Et, il y a ce regard direct et calme qui nous fixe, nous interpelle presque, nous enjoint à observer, à voir, à accepter. La démarche est décidée, la posture frondeuse.
On songe alors à certaine tirade du Tartuffe de Molière légèrement remaniée, le « Cachez ce sein… » devenant « Cachez cette absence de seins que nous ne saurions voir. ».
Et, nous voici, justement, en train de regarder ce qui, habituellement, demeure dissimulé et proscrit dans notre société, à nous familiariser avec un certain état du corps « d’après », à réviser certains tabous toujours à l’oeuvre dans la représentation du corps féminin, d’autant plus lorsqu’ils concernent des attributs corporels associés à la sexualité et la maternité.
*dans De si jolis chevaux (1992).
Isabelle CORBÉ